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Lyon, le 25 juillet 2010 – Commencer et recommencer, sans cesse…

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Velominibus !
jjancel's images
Les 2, 3, 4 juillet se sont déroulés au Parc de la Tête d’or (à Lyon) les DIALOGUES EN HUMANITE. Au cours de ces trois jours, l’on expose, l'on expérimente, l’on débat et l'on festoie, parfois avec humour, mais toujours avec le souci de faire correspondre l’humanité en question et les questions relative au politique.
C’est un événement ouvert à tous, durant lequel chacun peut écouter les murmures du monde ou prendre la parole. S’y expriment, outre les personnes exerçant des responsabilités politiques, des créateurs, des soignants, des spirituels, des bâtisseurs…, de toutes origines et de tous âges, petits ou élites, dont quelques nobélisés…

 Bablu Ganguly, leur interprète, Mary Vattamattam
Au parc de la Tête d'or, le 5 juillet 2010
Dimanche, je suis allée écouter le récit à deux voix de bâtisseurs - Mary Vattamattam et Bablu Ganguly - venus d’Anantapur (district de l’Andhra Pradesh) au sud de l’Inde.
A l’ombre des grands arbres du parc, ils nous ont raconté comment, jeunes époux, ils ont acquis quelques hectares d’une terre, dévastée par la sécheresse, qu’ils ont entrepris de faire revivre.
Ce qui a déclenché ce désir ? Le souhait de vivre une vie enrichissante main dans la main avec la nature.

Bienvenue à Timbaktu
Photo website de Timbaktu
C’est ainsi qu’a vu le jour « Là où la terre rencontre le ciel », TIMBAKTU (en langue télougou). Au commencement donc ce simple souhait : se rapprocher de la terre et l’aider à se régénérer.

Engrais vert
Photo website de Timbaktu
L’on se mit au travail. Avec la contribution de villageois voisins, des équipements de captation d’eau furent bâtis et le secteur reboisé en employant des méthodes de l’agriculture biologique, de sorte de favoriser des styles de vie alternatifs portant en eux des germes de vie. La forêt grandit et l’on vit revenir les oiseaux, les serpents et les papillons…

Formation à la vente
Photo website de Timbaktu
Le projet s’étendit. Des centaines, puis des milliers de personnes rejoignirent cette cellule de vie et la développèrent. TIMBAKTU COLLECTIVE vit alors le jour. Ce fut un autre commencement, fondé non plus uniquement sur la culture du sol mais aussi sur les cultures des êtres humains venues de tous les horizons : leurs coutumes, leurs religions, leurs modèles sociaux...

Rencontre avec des responsables
des coopératives de micro-crédit
Photo website de Timbaktu
 Bâtir l’autonomisation juridique et financière des foyers, notamment des femmes vivant seules, des orphelins et des personnes handicapées, et plus largement résoudre les problèmes de droit et de gouvernement devint la priorité, si bien que « Là où la terre rencontre le ciel » a changé peu à peu de visage.

Enfants à l'école de Timbaktu
Photo website de Timbaktu
 Aujourd’hui, fort d’une population d’environ 30 000 habitants et d’une équipe de 105 personnes qui travaillent dans une centaine de villages des cantons de Chennekothapalli, Roddam et Ramigiri, le collectif de Timbaktu fait face à un nouveau défi : le manque d’eau potable. Le niveau des nappes phréatiques est devenu si bas que les eaux possèdent un taux de minéralisation, notamment en fluor, impropre à la consommation. Les enfants, dont les dents et les articulations pâtissent, en souffrent déjà.

Réserve de graines à Timbaktu
Photo website Timbaktu
  De sorte que Mary et Bablu ont repris le chemin pour chercher de nouveaux partenaires, en occident cette fois. Leurs requêtes ? Des ressources - compétences (dont des ingénieurs hydrauliciens, des pédagogues, des soignants…), finances et soins – pour solutionner, ou au moins traiter toute la chaîne de problèmes causés par le manque d’eau.

 En nous invitant, nous occidentaux, à contribuer à leur projet, Mary et Bablu préparent un nouveau commencement : puisse-t-il voir le jour, pour leur peuple naturellement, mais aussi de façon que « Là où la terre rencontre le ciel » englobe dans son rayonnement notre vieux monde… Peut-être cette visite sera-t-elle ainsi la chance de nouveaux commencements, permettant à chacunes de nos cultures – orientales et occidentales - de se régénérer et de se féconder réciproquement ?

 En attendant, je relaye leurs voix. Voici leurs coordonnées :
 Site Internet : http://www.timbaktu.org/
 Mail : timbaktu.collective@gmail.com
 Pour les non anglophones, il est possible de « prendre langue » avec Timbaktu par l’intermédiaire d’Anne-Marie LE MOING (agronome), francophone et hispanophone, dont voici le mail : analimon47@gmail.com

Lyon, le 7 juillet 2010 – Commencer à… la flamme d’une chandelle

Georges de la Tour : L'apparition de l'ange à Joseph
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Coïncidence ! Lundi, le 28 juin, en allumant la radio, voici que je suis accueillie par ces mots :
« Jadis, en un jadis par les rêves eux-mêmes oublié,
la flamme d’une chandelle faisait penser les sages :
elle donnait mille songes au philosophe solitaire.
Sur la table du philosophe,
à côté des objets prisonniers dans leur forme,
à côté des livres qui instruisent lentement,
la flamme de la chandelle appelait des pensées sans mesure,
suscitait des images sans limite. »
De la main de Gaston BACHELARD, ils sont tirés d’un opuscule intitulé :
La flamme d’une chandelle ! 

Georges de la Tour :
Saint Joseph charpentier

Gaston BACHELARD, le philosophe poète…

Il ne m’en a pas fallu plus pour aller relire La flamme d’une chandelle et rechercher des images de peintures de Georges de la TOUR.

Rien de flatteur dans cette peinture - ni brillance technique, ni accumulation d’objets ou de motifs décoratifs, ni envolées lyriques ou mélancolies romantiques - seulement de la simplicité.
Georges de la Tour :
La Madeleine à la veilleuse
  
Cette économie de moyens et de couleurs,
assortie de constructions qui confinent au dépouillement,
porte au silence, à la méditation :
de larges plages inoccupées, quelques figures,
de rares objets et, reine,
la lumière chaude et mystérieuse
qui se joue de l'ombre…
Georges de la Tour : L'adoration des bergers


« Pont de feu entre réel et irréel
Co-existence à tout instant
De l’être et du non-être »
Roger ASSELINEAU, Flamme, in Poésies incomplètes


Georges de la Tour : détail
(Madeleine)







« La flamme est un feu humide »
[...] le lecteur des Pensées de JOUBERT se plaît aussi à imaginer.
Il voit cette flamme humide,
ce liquide ardent, couler vers le haut,
vers le ciel,
comme un ruisseau vertical. »
Gaston BACHELARD, La flamme d’une chandelle


Flamme, lumière d’encre  
 Des commencements    
   Aux seuils            
      Fluide              
         Naissance, ô mort… 
                                           © Michèle Rodet



Lyon, le 23 juin 2010 – Le point de vue du photographe Attila DURAK

Photos ©Attila DURAK - Ebru
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L’exposition de photos d’Attila DURAK intitulée Ebru – papier marbré - invite à découvrir les peuples de Turquie et d'Anatolie. Durant 6 ans, Attila DURAK est allé par monts et par vaux, par villes, villages et campements, photographiant les visages, les personnes, les groupes et mettant en lumière la diversité culturelle de ces régions, de sorte que défilent sous nos yeux des sujets turcs, kurdes, arméniens, juifs, grecs, lazes, zazas, pontiques, géorgiens, roms, yézidis, pomaks...


Photo ©Attila DURAK - Ebru

De son regard sur le monde, profond et haut en couleurs, des regards qui nous fixent en retour, de la démarche qui a présidé à l’accrochage des photos, se dégagent Ebru - le papier marbré - et au-delà de la métaphore, un manifeste “vivre ensemble” dans le respect et la confiance...


Photo ©Attila DURAK - Ebru
Clichés ©Anne-Laure QUIVIGER
Le montage de ces regards – qui pour la plupart ne se dérobent pas – et de ces situations créent des relations, des angles, des face à face et des points de vue impressionnants, inattendus, portant à la reflexion. 

Touchée, je me suis prise à rêver : comment faire pour que la peinture de son pays que nous offre Attila DURAK puisse durer et se répandre par-delà les frontières…?

Cette exposition a été organisée par la Bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon. Les photos, accompagnées de textes et de musiques, ont donné lieu à un recueil – Ebru (Editions Metis, Istanbul, 2007) - dont la version française est éditée chez Actes Sud.

Les clichés disposés dans ce billet ont été réalisés par Anne-Laure QUIVIGER, passionnée de photographie.

Lyon, le 18 juin 2010 – Commencer (suite)

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Ce blog a vu le jour sur l'incitation de proches et d’amis, incitations que je me suis longtemps abstenue de mettre en œuvre, parce que je ne voyais pas sous quel angle je pouvais m’inscrire dans cette pratique…

Et puis, lors d'échanges de vœux en début d’année, j’ai reçu la photo d’une flamme. Cette photo m’a touchée. Vivement d’abord. Puis elle m’a accompagnée, mezzo vocce, dans l’ombre du quotidien. Bien qu’ayant tout de suite été troublée par la ressemblance entre cette flamme et la forme d’une plume (de stylo-encre), je n’ai pas pensé alors à la correspondance entre lumière et écriture. Jusqu’à ce que me revienne le souvenir d’une passion d’enfance : celle éprouvée pour les peintures de Georges de la Tour dites « de nuit ».

A ces toiles aux chaleureux clairs-obscurs est associé, par un affect puissant, mon désir d’explorer, absolu, immédiat, brut, compact… Ma passion pour l’exploration était à cette époque dépouillée de la moindre parcelle d’artifice ou de relatif - point de négociation dans ce désir-là : impensable de me plier au défilé des mots ou à quelqu’autre discipline -, de sorte qu’elle s’investissait tout entière dans un direct avec la nature. Ainsi a débuté – pour autant que je m’en souvienne - mon corps à corps avec le monde, royaume évidemment donné, en un embrassement inarticulé. De cette densité – compacité de plomb - oui, je crois, procèdent l’embrasement et l’élan créatif, encore et toujours à l’œuvre…
Dans mon atelier :
bobines de fil de soie
Quel mystère, que ce désir ait pris formes, figures et ancrages à partir de toiles peintes ! Et qu’il ait par la suite sans cesse déroulé ses chaînes, embobiné ses fils, tissé ses trames, ses motifs et ses intrigues dans l’obscur clarté propice à ses voies…

Je suis impressionnée par le nombre de personnes – présentes ou absentes, vivantes ou mortes, proches ou lointaines – qui contribuent au moindre des commencements…

Le feu crépite
Sa lumière cachète
L’or des pépites
                                                                 ©Michèle Rodet

Lyon, le 11 juin 2010 – Venue de Bernard Noël à Lyon

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Ce jeudi 3 Juin, Bernard Noël est venu à Lyon, et sous l’or, les stucs et les lustres monumentaux de la grande salle jouxtant la bibliothèque du 5ème arrondissement, le poète a lu : des séquences de « Jardin d’encre », poème en cours d’écriture, dont il nous a offert la primeur.
Nous étions une centaine environ à écouter. Une voix, d’abord, ferme, bien timbrée lisant un texte taillé sur mesure, au souffle près…, son texte. Et puis des paroles. Les paroles d’un homme qui a vécu. Profondément. Passionnément. En conjuguant les mouvements de l’histoire aux motions à l’œuvre en lui. Et en réfléchissant la langue, le corps, le vivant…
« Le jardin d’encre » – 17 strophes de 17 vers de 17 syllabes – évoque maintenant. Tout un bouquet de maintenant.
Il a lu et le temps s’est suspendu.

 
Bernard Noël  
(Photo : Pascal Fellonneau)

  « Et maintenant ce maintenant veut faire un rempart au présent… […]
  Et maintenant, la main cherche à tâtons une page habitable… […]
  Et maintenant pourquoi une fois de plus rechercher l’inconnu… […]
  Et maintenant création et dé-création croisent leurs syllabes… […]
  Et maintenant quelle miséricorde quand ce mot n’a plus de sens… […]
  […] et toute la vie dehors fera couler dedans la grande nuit. »

Lorsqu’est venu l'instant des échanges, nous sommes tous restés cois. Comment prendre la parole après avoir entendu cela ? Nous avions reçu un présent tel que nous ne pouvions offrir en retour à Bernard Noël que notre silence… profondément habité et ému.
Un peu de confusion est né de ce silence inattendu. Il a murmuré, timidement, presqu’en s’excusant : « Ce que j’ai lu m’a paru sinistre ».
Pour ma part, j’ai entendu et humé dans ce « Jardin d’encre » le bourdon d'une ample générosité et le parfum d'une profonde liberté…

Et vous, voudriez-vous partager quelques vers de Bernard Noël avec nous ?

Lyon, le 3 juin 2010 - Commencer

A
Michèle Rodet : Commencements - Détail
« Commencer » n’est quasiment plus employé dans le sens « d’initier avec ou par »… Gustave FLAUBERT pouvait encore écrire, dans Madame Bovary : « C'était le curé de son village qui lui avait commencé le latin, ses parents, par économie, ne l'ayant envoyé au collège que le plus tard possible. » Et Anatole FRANCE dans L'île des pingouins : « Les femmes ont été la plupart du temps si mal commencées par leur mari, qu'elles n'ont pas le courage de recommencer tout de suite avec un autre... »

Voici des façons de commencer qui chiffonnent les oreilles, n’est-ce pas ? Et pourtant ! Commencer, par sa morphologie-même, comprend la présence de l’autre. Car commencer est bâti à partir de deux mots latins : com-, et -encer. Com- vient de cum [qui signifie : avec] et –encer est tiré de initiare. Initiare recouvre principalement trois champs de signification : initier aux mystères (spirituels), instruire (initier à un domaine de connaissance : lettres, sciences…) et commencer.

 Il fut donc une époque où commencer s’entendait évidemment avec ou par l’intermédiaire de quelqu’un. L’on ne commençait pas tout seul. Commencer seul était non seulement impossible mais impensable. La présence d’autrui dans le processus d’introduction à un domaine ou une discipline – quels qu’ils fussent – était alors indéniable et nul ne pensait à effacer sa relation aux autres. Celui qui prétendait « s’être fait » tout seul était immédiatement taxé d’arrogance et d’impiété ! Ovide en témoigne : il n’a pas oublié comment Lycaon l’impie, après avoir servi la chair de son petit-fils à Zeus, fut changé en loup tandis que ses fils étaient foudroyés. A bon entendeur, salut !

Dans mon atelier :
ruban satiné bleu nuit
semé de fragments brillants
qui refléchissent la lumière
Il semble qu’aujourd’hui ne reste de commencer que l’action de débuter : comme si commencer se réduisait au premier degré de temps référé au fait imputé ! Puisque la tentative d’évacuer autrui des commencements semble un processus largement attesté – y compris chez les anciens - et partagé, l’on peut s’interroger sur l’aveuglement des héros, nombreux, que les dieux châtièrent pour leur rappeler leur condition d’être-en-relation.

Comment en vient-on à méconnaître ou à évacuer ceux qui sont à l’initiative ou les intermédiaires par qui les dons – de sciences, lettres, pratiques, mystères… - furent prodigués ? Tout semble se passer, pour ces héros tragiquement solitaires, comme si la lumière, éclairant les personnes et les êtres les entourant, leur avait manqué depuis toujours, et que faute de n’avoir pu les voir et les connaître, ils ne pouvaient les reconnaître…

Et vous, qu’en pensez-vous ? Quel est votre point de vue à propos de cette question ?


Le point de vue de :

       Annie R.
" Bonsoir Michèle,
J’ai visité ton site.
J’ai visité ton blog.
Je viens de lire ton texte « Commencer ».
La présence de l’autre, c’est donc çà !!
Commencer seul était non seulement impossible mais impensable. Bien sûr.
A la fin de ton texte j’ai eu l’impression que ce mot prenait pour moi le sens qu’il n’aurait jamais dû cesser d’avoir. C’est très difficile à expliquer.
Si j’ai bien compris le sens de commencer a évolué ( ? ) dans le mauvais sens, alors que je viens de (re)trouver son sens grâce à ton texte. Très étrange.
Je me demande toutefois si les héros n’étaient pas seuls, seraient-ils aussi héroïques ? "


      Marie-José GIL
"Quel beau questionnement à la fois si singulier et universel.
Tu évoques l'impossibilité d'accéder au "commencer" par le manque de lumière... de l'entourage et qu'en conséquence on ne peut accèder à ce que l'on n'a pas reçu faute de référence...
Peut-on imaginer que l'on refuse cette lumière trop éclairante voire dérangeante voire dangereuse, non pas parce qu'elle ne m'est pas offerte mais parce que je refuse de la voir ? Ai-je le droit de choisir l'obscurité à la lumière ? Mais si je refuse la lumière c'est que déjà j'ai une connaissance de celle-ci et que je l'ai reçue ! Donc si nous sommes des poussières d'étoiles indifférenciées de notre environnement et que celui-ci nous montre un chemin de commencement ou non... nous verrons le monde "avec de yeux ouverts par d'autres !" quel dommage ! bien que vérité...
Je crois en une lumière "autre" celle de la terre et du ciel qui m'appelle et pour celle-ci il ne suffit pas de voir, de sentir, de dire, de goûter, d'entendre mais simplement d'être, d'oser être ce que je suis en train de devenir...
Sans doute d'autres petits mots plus tardivement."

Lyon, le 19 mai 2010 – Le conte que j’écris…

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Voici la situation et les personnages du conte que j’écris : deux fillettes et leur père, veuf, qui se remarie. Bien qu’il ne rejette pas ses enfants, ce père est incapable de les accompagner et, à fortiori de les soutenir au cours du chemin qui mène de l’enfance à l’âge adulte. La belle-mère n’éprouve qu’indifférence pour les fillettes, de façon qu’elles se sentent bientôt indésirables dans la maison de leur père. D’où de nombreuses questions pour ces enfants, qui pourraient se résumer à travers celle-ci : comment trouve-t-on une place pour soi sur terre lorsque l’on n’a pas de « maison » ?

Question d’une brûlante actualité pour nombre d’enfants, surtout pour les filles qui sont encore de nos jours peu investies, socialement parlant, par les pères. Au-delà de la blessure intime infligée aux enfants ainsi traités, se posent très vite pour eux de nombreuses interrogations auxquelles il est urgent de trouver réponses : celles-ci concernent les points de repère spatio-temporels, la sécurité intérieure, le corps avec sa cohorte de sentiments et d’émotions qui en passent par les sens, la découverte puis l’apprentissage de la « navigation » dans l’espace social… Et tant d’autres questions encore…

Le conte que j’écris s’appuie sur ces questions en les « traduisant » en fils, broderies et motifs empruntés aux contes traditionnels. Traduction à laquelle j'ajoute tout ce qui est nécessaire pour que la trame du conte tienne et maintienne le lecteur d’aujourd’hui en haleine…
S’adosser à l’art du conte et aux savoir-faire reçus en héritage permet de ré-ouvrir le grand livre de la vie, de manière à en poursuivre l’écriture, à établir des liens et à jeter des ponts entre naguère et maintenant… de sorte que demain d’autres mains, d’autres cœurs puissent le feuilleter encore et encore, avant de prendre à leur tour la plume.

Le conte que j’écris commence ainsi :

« Il était une fois un monarque riche et puissant. Il adorait la chasse, les festins et le théâtre de sorte que les fêtes qu’il donnait étaient réputées jusqu’aux confins de la terre. Lorsqu’il avait atteint l’âge d’homme, il avait été couronné roi de Midi et avait épousé la fille unique du roi des Quatre-Vents. Neuf mois après leurs noces, la reine donna le jour à une fille : elle reçut le nom de Clairevoix. Sept ans après, le jour de Noël, la reine enfanta une seconde fille. Elle fut nommée Aireine.

Or, il arriva que la reine s’éteignît alors qu'Aireine n'avait que sept ans. Cependant, avant de rejoindre le royaume des ombres, elle avait fait mander les princesses et avait murmuré à l’aînée :
- Clairevoix, chère enfant, tu as reçu le don du chant. Je te donne en héritage ce diapason d’or. Fais-en usage pour bâtir ton bonheur.
A la cadette, elle avait soufflé :
- Aireine, chère enfant, tu as reçu le don de la présence. Je te donne en héritage ce cahier d’or. Fais-en usage pour bâtir ton bonheur.
Lorsque la reine des Quatre-Vents eut rendu son dernier souffle, le roi de Midi s’abîma dans le chagrin. Inconsolable, il délaissa les affaires de son royaume, ses fêtes et ses chasses. Pendant tout un an, il pleura. Durant une autre année, il s’enferma dans son deuil, vêtu de noir et s’alimentant de peu. Pendant la troisième année, il erra : il partait en forêt ou s’embarquait, solitaire, sur un petit voilier. Il posait distraitement la main sur la barre et voguait, de-ci, de-là, au gré du vent. Il se nourrissait d’oursins et de coquillages, buvait l’eau de pluie. Et lorsque le vent le ramenait au port, il regagnait sombrement son château.
Et voici que le premier jour de la quatrième année, un courant mena son bateau dans une île perdue de la Méditerranée, une île si minuscule qu’elle ne figurait sur aucune carte… Cette île n’abritait qu’une seule maison, qui n’hébergeait qu’une seule personne, une femme qui répondait au nom de Micra. Or la dame de l’île était un peu sorcière… »

Albepierre, le 11 mai 2010 - Point sur la Fête du livre à Villeurbanne

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Mes amies Marie-France CHEVRON et Aurélie BOISSINOT
dans la salle d'exposition
de la maison du livre de Villeurbanne
La fin de semaine dernière, s'est déroulée la Fête du livre jeunesse à Villeurbanne, aux portes de Lyon, au cours de laquelle était organisé un salon du livre jeunesse.
Un salon, c'est l'occasion de retrouver amis et complices, de découvrir des auteurs, des illustrateurs et des éditeurs - ainsi que leurs ouvrages - et, parfois, de les rencontrer...
C'est aussi une agréable façon de se tenir au courant des mille et une nouvelles qui forment le réseau très fluctuant des courants sur lesquels les artistes naviguent.
L'édition de cette année avait pour thème RÉSISTER, date (le 8 mai) oblige. Mais loin de se cantonner dans la mémoire historique de l'événement - aussi essentielle fut-elle - ou dans un militantisme gauchisant, l'équipe de la MAISON DU LIVRE, DE L'IMAGE ET DU SON, avait fait une large place à l'humour. L'humour, la plus sûre et la plus durable des armes contre toute forme d'oppression, qu'elle soit politique, sociale, familiale, transgénérationnelle...!
La programmation était si riche qu'il ne m'a pas été possible de tout voir, tout entendre... Cependant parmi les artistes invités, j'ai été particulièrement sensible à la représentation donnée par PLONK et REPLONK sous le titre "Le Rezizistan, république oubliée", ainsi qu'à leur exposition d'images et d'objets. Voici des artistes qui savent jouer des situations, de la langue - le suisse roman, si chantant - et de l'image en virtuoses... Je suis encore toute vibrante des éclats de rires qu'ils ont déclenchés... et de la joie de découvrir que de nouveaux chantres ont repris - et portent haut et franc - le flambeau de la liberté. Et avec quel esprit !

Christian HUMBERT-DROZ, sérigraphiste et éditeur,
notammant de la revue DROZOPHILE
Parmi les éditeurs, une heureuse rencontre : celle de Christian HUMBERT-DROZ, artisan-éditeur suisse, aussi, qui vit de la sérigraphie. Or ce passionné ouvert aux artistes et sensible à leurs oeuvres trouve de plus le temps d'éditer, entre autres, une revue intitulée DROZOPHILE (!) avec eux, publiée et imprimée - de nuit ou durant les périodes creuses dans son atelier, à Genève... - uniquement en sérigraphie !
Si ! Si ! Et si la fidélité à lui-même et à ce qui mobilise son coeur n'est pas toujours payant - je veux dire en espèces sonnantes et trébuchantes - du moins fait-il ce qui lui plaît !
Rien que pour avoir entendu ces paroles - et avoir vu le visages ouverts, concentrés et joyeux des étudiants des Beaux-Arts ou des jeunes artistes venus le seconder - cette fête valait le déplacement.
D'avoir parlé et côtoyé ces très belles personnes, ainsi que leurs oeuvres, m'a donné courage, énergie et idées pour poursuivre ma route.

Lyon, le 20 mars 2010 - Préparatifs

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Première page oblige, pourquoi avoir nommé ce blog  TEXTES  ET  TOILES ?

Parce que les textes et les toiles entretiennent de nombreuses relations et parce que… j’apprécie les jeux de mots.
Il y a une relation « générative » entre les mots « texte » et « tissu ». Littéralement. Le mot « texte » français a été tiré du mot « tissu » en latin. Comme un enfant de sa mère…
Comment dit-on « tissu » en latin ? Textus !
Et que signifie le mot latin textus ? Tissé, entrelacé, tressé, formé par assemblage de parties, en tant que participe passé ; et en tant que nom : enlacement, tissu, contexture, trame, entrelacement, contexture (de style), enchaînement, structure (d'un récit), liaison (des idées). Et aussi : suite, récit, exposé - texte, contenu, teneur.

La relation qui noue le tissu et le texte est au cœur de ma création : j’écris des textes-tissus et je crée des toiles-textes.

Le texte et la toile ont un autre un point commun - parmi encore de très nombreux - celui de l’entrelacs. La logique de l’entrelacs – dessus/dessous - est à la base de la notion de tissu et de texte. Les fils d’une toile tiennent du simple fait de l’entrecroisement des fils de chaîne et des fils de trame. Un texte est construit de la même façon : au lieu des fils, des phrases, des pensées et des histoires… La trame des récits se noue en d’infinis entrelacements d’intrigues sur la chaîne des images, métaphores, pensées…

A cela s’ajoute mon goût pour la couleur et la lumière, de sorte que mes toiles-textes racontent des histoires sans mots mais avec des… motifs. Tout de formes, de textures et de couleurs…
Mes toiles content des histoires puisées dans les nombreux textes de littérature et de philosophie qui ont élus domicile en moi. Lorsqu'ils me visitent, ils se re-forment et je les dépose sur des toiles en tissu qui, telle des pages blanches, se prêtent à l’écriture. Les motifs qui me viennent aux doigts sont alors autant de filets d’encre, rendant visibles les fils d’idée, relations et voies au travail dans les profondeurs. Ainsi se manifestent les lettres et les cartes réfléchissant ma rencontre - et mes relations - avec les anciens et l’inspiration du jour…

Mes textes relèvent du même mouvement : ils sont l’autre versant de mon œuvre plastique. Car, bien que dérobées, le monde aussi a ses lettres et ses cartes. J’éprouve plaisir à les lire… Leur écriture est mystérieuse, d’autant plus que, fractionnée, elle est disséminée au secret de chacun d’entre nous. Ecrire me permet de mettre en lumière, autant que faire se peut, les fragments dont je suis dépositaire. Et de les partager…