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Lyon, le 23 juin 2010 – Le point de vue du photographe Attila DURAK

Photos ©Attila DURAK - Ebru
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L’exposition de photos d’Attila DURAK intitulée Ebru – papier marbré - invite à découvrir les peuples de Turquie et d'Anatolie. Durant 6 ans, Attila DURAK est allé par monts et par vaux, par villes, villages et campements, photographiant les visages, les personnes, les groupes et mettant en lumière la diversité culturelle de ces régions, de sorte que défilent sous nos yeux des sujets turcs, kurdes, arméniens, juifs, grecs, lazes, zazas, pontiques, géorgiens, roms, yézidis, pomaks...


Photo ©Attila DURAK - Ebru

De son regard sur le monde, profond et haut en couleurs, des regards qui nous fixent en retour, de la démarche qui a présidé à l’accrochage des photos, se dégagent Ebru - le papier marbré - et au-delà de la métaphore, un manifeste “vivre ensemble” dans le respect et la confiance...


Photo ©Attila DURAK - Ebru
Clichés ©Anne-Laure QUIVIGER
Le montage de ces regards – qui pour la plupart ne se dérobent pas – et de ces situations créent des relations, des angles, des face à face et des points de vue impressionnants, inattendus, portant à la reflexion. 

Touchée, je me suis prise à rêver : comment faire pour que la peinture de son pays que nous offre Attila DURAK puisse durer et se répandre par-delà les frontières…?

Cette exposition a été organisée par la Bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon. Les photos, accompagnées de textes et de musiques, ont donné lieu à un recueil – Ebru (Editions Metis, Istanbul, 2007) - dont la version française est éditée chez Actes Sud.

Les clichés disposés dans ce billet ont été réalisés par Anne-Laure QUIVIGER, passionnée de photographie.

Lyon, le 18 juin 2010 – Commencer (suite)

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Ce blog a vu le jour sur l'incitation de proches et d’amis, incitations que je me suis longtemps abstenue de mettre en œuvre, parce que je ne voyais pas sous quel angle je pouvais m’inscrire dans cette pratique…

Et puis, lors d'échanges de vœux en début d’année, j’ai reçu la photo d’une flamme. Cette photo m’a touchée. Vivement d’abord. Puis elle m’a accompagnée, mezzo vocce, dans l’ombre du quotidien. Bien qu’ayant tout de suite été troublée par la ressemblance entre cette flamme et la forme d’une plume (de stylo-encre), je n’ai pas pensé alors à la correspondance entre lumière et écriture. Jusqu’à ce que me revienne le souvenir d’une passion d’enfance : celle éprouvée pour les peintures de Georges de la Tour dites « de nuit ».

A ces toiles aux chaleureux clairs-obscurs est associé, par un affect puissant, mon désir d’explorer, absolu, immédiat, brut, compact… Ma passion pour l’exploration était à cette époque dépouillée de la moindre parcelle d’artifice ou de relatif - point de négociation dans ce désir-là : impensable de me plier au défilé des mots ou à quelqu’autre discipline -, de sorte qu’elle s’investissait tout entière dans un direct avec la nature. Ainsi a débuté – pour autant que je m’en souvienne - mon corps à corps avec le monde, royaume évidemment donné, en un embrassement inarticulé. De cette densité – compacité de plomb - oui, je crois, procèdent l’embrasement et l’élan créatif, encore et toujours à l’œuvre…
Dans mon atelier :
bobines de fil de soie
Quel mystère, que ce désir ait pris formes, figures et ancrages à partir de toiles peintes ! Et qu’il ait par la suite sans cesse déroulé ses chaînes, embobiné ses fils, tissé ses trames, ses motifs et ses intrigues dans l’obscur clarté propice à ses voies…

Je suis impressionnée par le nombre de personnes – présentes ou absentes, vivantes ou mortes, proches ou lointaines – qui contribuent au moindre des commencements…

Le feu crépite
Sa lumière cachète
L’or des pépites
                                                                 ©Michèle Rodet

Lyon, le 11 juin 2010 – Venue de Bernard Noël à Lyon

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Ce jeudi 3 Juin, Bernard Noël est venu à Lyon, et sous l’or, les stucs et les lustres monumentaux de la grande salle jouxtant la bibliothèque du 5ème arrondissement, le poète a lu : des séquences de « Jardin d’encre », poème en cours d’écriture, dont il nous a offert la primeur.
Nous étions une centaine environ à écouter. Une voix, d’abord, ferme, bien timbrée lisant un texte taillé sur mesure, au souffle près…, son texte. Et puis des paroles. Les paroles d’un homme qui a vécu. Profondément. Passionnément. En conjuguant les mouvements de l’histoire aux motions à l’œuvre en lui. Et en réfléchissant la langue, le corps, le vivant…
« Le jardin d’encre » – 17 strophes de 17 vers de 17 syllabes – évoque maintenant. Tout un bouquet de maintenant.
Il a lu et le temps s’est suspendu.

 
Bernard Noël  
(Photo : Pascal Fellonneau)

  « Et maintenant ce maintenant veut faire un rempart au présent… […]
  Et maintenant, la main cherche à tâtons une page habitable… […]
  Et maintenant pourquoi une fois de plus rechercher l’inconnu… […]
  Et maintenant création et dé-création croisent leurs syllabes… […]
  Et maintenant quelle miséricorde quand ce mot n’a plus de sens… […]
  […] et toute la vie dehors fera couler dedans la grande nuit. »

Lorsqu’est venu l'instant des échanges, nous sommes tous restés cois. Comment prendre la parole après avoir entendu cela ? Nous avions reçu un présent tel que nous ne pouvions offrir en retour à Bernard Noël que notre silence… profondément habité et ému.
Un peu de confusion est né de ce silence inattendu. Il a murmuré, timidement, presqu’en s’excusant : « Ce que j’ai lu m’a paru sinistre ».
Pour ma part, j’ai entendu et humé dans ce « Jardin d’encre » le bourdon d'une ample générosité et le parfum d'une profonde liberté…

Et vous, voudriez-vous partager quelques vers de Bernard Noël avec nous ?

Lyon, le 3 juin 2010 - Commencer

A
Michèle Rodet : Commencements - Détail
« Commencer » n’est quasiment plus employé dans le sens « d’initier avec ou par »… Gustave FLAUBERT pouvait encore écrire, dans Madame Bovary : « C'était le curé de son village qui lui avait commencé le latin, ses parents, par économie, ne l'ayant envoyé au collège que le plus tard possible. » Et Anatole FRANCE dans L'île des pingouins : « Les femmes ont été la plupart du temps si mal commencées par leur mari, qu'elles n'ont pas le courage de recommencer tout de suite avec un autre... »

Voici des façons de commencer qui chiffonnent les oreilles, n’est-ce pas ? Et pourtant ! Commencer, par sa morphologie-même, comprend la présence de l’autre. Car commencer est bâti à partir de deux mots latins : com-, et -encer. Com- vient de cum [qui signifie : avec] et –encer est tiré de initiare. Initiare recouvre principalement trois champs de signification : initier aux mystères (spirituels), instruire (initier à un domaine de connaissance : lettres, sciences…) et commencer.

 Il fut donc une époque où commencer s’entendait évidemment avec ou par l’intermédiaire de quelqu’un. L’on ne commençait pas tout seul. Commencer seul était non seulement impossible mais impensable. La présence d’autrui dans le processus d’introduction à un domaine ou une discipline – quels qu’ils fussent – était alors indéniable et nul ne pensait à effacer sa relation aux autres. Celui qui prétendait « s’être fait » tout seul était immédiatement taxé d’arrogance et d’impiété ! Ovide en témoigne : il n’a pas oublié comment Lycaon l’impie, après avoir servi la chair de son petit-fils à Zeus, fut changé en loup tandis que ses fils étaient foudroyés. A bon entendeur, salut !

Dans mon atelier :
ruban satiné bleu nuit
semé de fragments brillants
qui refléchissent la lumière
Il semble qu’aujourd’hui ne reste de commencer que l’action de débuter : comme si commencer se réduisait au premier degré de temps référé au fait imputé ! Puisque la tentative d’évacuer autrui des commencements semble un processus largement attesté – y compris chez les anciens - et partagé, l’on peut s’interroger sur l’aveuglement des héros, nombreux, que les dieux châtièrent pour leur rappeler leur condition d’être-en-relation.

Comment en vient-on à méconnaître ou à évacuer ceux qui sont à l’initiative ou les intermédiaires par qui les dons – de sciences, lettres, pratiques, mystères… - furent prodigués ? Tout semble se passer, pour ces héros tragiquement solitaires, comme si la lumière, éclairant les personnes et les êtres les entourant, leur avait manqué depuis toujours, et que faute de n’avoir pu les voir et les connaître, ils ne pouvaient les reconnaître…

Et vous, qu’en pensez-vous ? Quel est votre point de vue à propos de cette question ?


Le point de vue de :

       Annie R.
" Bonsoir Michèle,
J’ai visité ton site.
J’ai visité ton blog.
Je viens de lire ton texte « Commencer ».
La présence de l’autre, c’est donc çà !!
Commencer seul était non seulement impossible mais impensable. Bien sûr.
A la fin de ton texte j’ai eu l’impression que ce mot prenait pour moi le sens qu’il n’aurait jamais dû cesser d’avoir. C’est très difficile à expliquer.
Si j’ai bien compris le sens de commencer a évolué ( ? ) dans le mauvais sens, alors que je viens de (re)trouver son sens grâce à ton texte. Très étrange.
Je me demande toutefois si les héros n’étaient pas seuls, seraient-ils aussi héroïques ? "


      Marie-José GIL
"Quel beau questionnement à la fois si singulier et universel.
Tu évoques l'impossibilité d'accéder au "commencer" par le manque de lumière... de l'entourage et qu'en conséquence on ne peut accèder à ce que l'on n'a pas reçu faute de référence...
Peut-on imaginer que l'on refuse cette lumière trop éclairante voire dérangeante voire dangereuse, non pas parce qu'elle ne m'est pas offerte mais parce que je refuse de la voir ? Ai-je le droit de choisir l'obscurité à la lumière ? Mais si je refuse la lumière c'est que déjà j'ai une connaissance de celle-ci et que je l'ai reçue ! Donc si nous sommes des poussières d'étoiles indifférenciées de notre environnement et que celui-ci nous montre un chemin de commencement ou non... nous verrons le monde "avec de yeux ouverts par d'autres !" quel dommage ! bien que vérité...
Je crois en une lumière "autre" celle de la terre et du ciel qui m'appelle et pour celle-ci il ne suffit pas de voir, de sentir, de dire, de goûter, d'entendre mais simplement d'être, d'oser être ce que je suis en train de devenir...
Sans doute d'autres petits mots plus tardivement."