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Lyon, le 3 juin 2010 - Commencer

A
Michèle Rodet : Commencements - Détail
« Commencer » n’est quasiment plus employé dans le sens « d’initier avec ou par »… Gustave FLAUBERT pouvait encore écrire, dans Madame Bovary : « C'était le curé de son village qui lui avait commencé le latin, ses parents, par économie, ne l'ayant envoyé au collège que le plus tard possible. » Et Anatole FRANCE dans L'île des pingouins : « Les femmes ont été la plupart du temps si mal commencées par leur mari, qu'elles n'ont pas le courage de recommencer tout de suite avec un autre... »

Voici des façons de commencer qui chiffonnent les oreilles, n’est-ce pas ? Et pourtant ! Commencer, par sa morphologie-même, comprend la présence de l’autre. Car commencer est bâti à partir de deux mots latins : com-, et -encer. Com- vient de cum [qui signifie : avec] et –encer est tiré de initiare. Initiare recouvre principalement trois champs de signification : initier aux mystères (spirituels), instruire (initier à un domaine de connaissance : lettres, sciences…) et commencer.

 Il fut donc une époque où commencer s’entendait évidemment avec ou par l’intermédiaire de quelqu’un. L’on ne commençait pas tout seul. Commencer seul était non seulement impossible mais impensable. La présence d’autrui dans le processus d’introduction à un domaine ou une discipline – quels qu’ils fussent – était alors indéniable et nul ne pensait à effacer sa relation aux autres. Celui qui prétendait « s’être fait » tout seul était immédiatement taxé d’arrogance et d’impiété ! Ovide en témoigne : il n’a pas oublié comment Lycaon l’impie, après avoir servi la chair de son petit-fils à Zeus, fut changé en loup tandis que ses fils étaient foudroyés. A bon entendeur, salut !

Dans mon atelier :
ruban satiné bleu nuit
semé de fragments brillants
qui refléchissent la lumière
Il semble qu’aujourd’hui ne reste de commencer que l’action de débuter : comme si commencer se réduisait au premier degré de temps référé au fait imputé ! Puisque la tentative d’évacuer autrui des commencements semble un processus largement attesté – y compris chez les anciens - et partagé, l’on peut s’interroger sur l’aveuglement des héros, nombreux, que les dieux châtièrent pour leur rappeler leur condition d’être-en-relation.

Comment en vient-on à méconnaître ou à évacuer ceux qui sont à l’initiative ou les intermédiaires par qui les dons – de sciences, lettres, pratiques, mystères… - furent prodigués ? Tout semble se passer, pour ces héros tragiquement solitaires, comme si la lumière, éclairant les personnes et les êtres les entourant, leur avait manqué depuis toujours, et que faute de n’avoir pu les voir et les connaître, ils ne pouvaient les reconnaître…

Et vous, qu’en pensez-vous ? Quel est votre point de vue à propos de cette question ?


Le point de vue de :

       Annie R.
" Bonsoir Michèle,
J’ai visité ton site.
J’ai visité ton blog.
Je viens de lire ton texte « Commencer ».
La présence de l’autre, c’est donc çà !!
Commencer seul était non seulement impossible mais impensable. Bien sûr.
A la fin de ton texte j’ai eu l’impression que ce mot prenait pour moi le sens qu’il n’aurait jamais dû cesser d’avoir. C’est très difficile à expliquer.
Si j’ai bien compris le sens de commencer a évolué ( ? ) dans le mauvais sens, alors que je viens de (re)trouver son sens grâce à ton texte. Très étrange.
Je me demande toutefois si les héros n’étaient pas seuls, seraient-ils aussi héroïques ? "


      Marie-José GIL
"Quel beau questionnement à la fois si singulier et universel.
Tu évoques l'impossibilité d'accéder au "commencer" par le manque de lumière... de l'entourage et qu'en conséquence on ne peut accèder à ce que l'on n'a pas reçu faute de référence...
Peut-on imaginer que l'on refuse cette lumière trop éclairante voire dérangeante voire dangereuse, non pas parce qu'elle ne m'est pas offerte mais parce que je refuse de la voir ? Ai-je le droit de choisir l'obscurité à la lumière ? Mais si je refuse la lumière c'est que déjà j'ai une connaissance de celle-ci et que je l'ai reçue ! Donc si nous sommes des poussières d'étoiles indifférenciées de notre environnement et que celui-ci nous montre un chemin de commencement ou non... nous verrons le monde "avec de yeux ouverts par d'autres !" quel dommage ! bien que vérité...
Je crois en une lumière "autre" celle de la terre et du ciel qui m'appelle et pour celle-ci il ne suffit pas de voir, de sentir, de dire, de goûter, d'entendre mais simplement d'être, d'oser être ce que je suis en train de devenir...
Sans doute d'autres petits mots plus tardivement."

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