----------

Lyon, le 10 mars 2014



 Poétée
 
         Que fais-tu, poète ?
       - Je tiens le monde à l’œil.

        Pourquoi, poète ?
      - Si je ne papillonnais pas autour du monde, lui offrant mes couleurs et butinant ses parfums comment nous apprivoiserions-nous ?

       A quoi cela te sert-il poète ?
      - Le monde me permettrait-il de l’embrasser de mes mots si nous n’étions amis ?

       A quoi cela sert-il poète ?  
      - Qui la liberté sert-elle ?

       Oui mais, poète, tes poèmes changent-ils quoi que ce soit à la course du monde ?
      - Qui sait ? 
         Ne présume pas de la fécondité. 
         La liberté est matrice, à un point que nul ne peut imaginer. 
         Regarde le faon lorsqu’il sort du bois en gambadant : peux-tu prédire où il posera ses sabots dans la seconde à venir ? Nul ne le sait, même pas sa mère…
                                                                                                                     © Michèle Rodet
-
-

Lyon, le 24 février 2014



Pas de symbole sans … ?

Lire les chapitres précédant : ch. 1 : du signe... - ch. 2 : ... au symbole

       La langue grecque établit un rapport entre "symbole" et… diab(o)le. Ce mot est tiré du verbe grec dia-ballein, qui signifie : "jeter entre ou à travers, placer à travers, d'où : séparer, insérer, désunir ; brouiller, détourner ; attaquer, accuser, dire du mal de ; jouer à, tromper."
      Dans l'antiquité, diabolê (nom) renvoie non pas un objet comme le symbole, mais à "la  division, d'où : brouille, aversion ; accusation (fondée), fausse accusation, calomnie". Est diabolos (adjectif) : "ce qui désunit, qui inspire la haine ou l'envie, la médisance ou la calomnie".
       
       La dynamique diabolique opère en brouillant les traces, disloquant les liens et brisant les signes ; c'est une énergie de désordre, de perversion, de détournement des traces lisibles. Le diabolique embrouille en touchant à ce qui anime l'humain et le fait vivre, en touchant au désir. Ses armes ? Mensonge, manipulation, instrumentalisation, emprise...
      Le diab(o)le brise les fils du désir en utilisant à son profit les formes symboliques : il les vide de leur sens et de leur substance vitale, de leur énergie de vie. Il ne reste alors que des formes brutes, sortes de coques vides et insignifiantes.
     Ce que provoque le diab(o)le ? La confusion, le perte de repère et de liens et par conséquent, des blessures (d'âme) et de la mort (du désir). A quoi mène-t-il ? A la jouissance centrée sur soi.

Apparition de Mephistophélès à Faust  






    Quels recours ? Les sociétés et les associations cherchent depuis toujours à se protéger et à tenir leurs membres à distance de cette énergie néfaste. Les lois, les contrats, les pactes, les chartres (etc.) sont le moyen qu'elles ont trouvé et mis en œuvre pour ce faire. C'est pourquoi on leur confère une fonction symbolique, un pouvoir d'union et de rassemblement : ce qui y est consigné porte une valeur d'écriture contractuelle, une valeur d'alliance ou de "re-liance" pour la vie entre chacun, au sein et entre les générations.

     Dans la mesure où ce n'est pas un pacte diabolique, naturellement. J. W. von Goethe met en scène Faust, le héros légendaire qui signa un pacte avec le diable. Il conte comment le piège ourdi par l'esprit et prince des ténèbres Méphistophélès conduira Faust tout droit dans ses filets en semant la mort autour de lui…

     Voici un passage extrait de ce Faust : 

" MEPHISTOPHELES :… Un mot encore : pour l'amour de la vie ou de la mort, je demande pour moi une couple de lignes.

FAUST : Il te faut aussi un écrit, pédant ? Ne sais-tu pas ce que c'est qu'un homme, ni ce que la parole a de valeur ? N'est ce pas assez que la mienne doive, pour l'éternité, disposer de mes jours ? Quand le monde s'agite de tous les orages, crois-tu qu'un simple mot d'écrit soit une obligation assez puissante ?... Cependant, une telle chimère nous tient toujours au coeur, et qui pourrait s'en affranchir ? Heureux qui porte sa foi pure au fond de son coeur, il n'aura regret d'aucun sacrifice ! Mais un parchemin écrit et cacheté est un épouvantail pour tout le monde, le serment va expirer sous la plume ; et l'on ne reconnaît que l'empire de la cire et du parchemin. Esprit malin, qu'exiges-tu de moi ? Airain, marbre, parchemin, papier ? Faut-il écrire avec un style, un burin, ou une plume ? Je t'en laisse le choix libre.

MEPHISTOPHELES : A quoi bon tout ce bavardage ? Pourquoi t'emporter avec tant de chaleur ? Il suffira du premier papier venu. Tu te serviras pour signer ton nom d'une petite goutte de sang.

FAUST : Si cela t'est absolument égal, ceci devra rester pour la plaisanterie.

MEPHISTOPHELES : Le sang est un suc tout particulier.

FAUST : Aucune crainte maintenant que je viole cet engagement.
L'exercice de toute ma force est justement ce que je promets. Je me suis trop enflé, il faut maintenant que j'appartienne à ton espèce ; le grand Esprit m'a dédaigné ; la nature se ferme devant moi ; le fil de ma pensée est rompu, et je suis dégoûté de toute science. Il faut que dans le gouffre de la sensualité mes passions ardentes s'apaisent !
Qu'au sein de voiles magiques et impénétrables de nouveaux miracles s'apprêtent ! Précipitons-nous dans le murmure des temps, dans les vagues agitées du destin ! Et qu'ensuite la douleur et la jouissance, le succès et l'infortune, se suivent comme ils pourront. Il faut désormais que l'homme s'occupe sans relâche.

MEPHISTOPHELES : Il ne vous est assigné aucune limite, aucun but. S'il vous plaît de goûter un peu de tout, d'attraper au vol ce qui se présentera, faites comme vous l'entendrez. Allons, attachez-vous à moi, et ne faites pas le timide ! "

-

Lyon, le 30 janvier 2014



               LAS  !
-
-
 
                                            -
                               /
     Lourd, le poids du jour
                           /
   sur  tes  pauvres  épaules   
__                    /                   __
      O              /             lon
          h         /        pil
              !     |   pa
                  Un
                   / \

 

          © Michèle Rodet

-
-
-

Lyon, le 13 décembre 2013

-
-
AU  BOUT  DE  LA  NUIT
 

La nuit  
Vide à fond  
les ténèbres  
 
Au bout,  
un lac reflète  
ses rêves   
© Michèle Rodet  
-

Lyon, le 26 novembre 2013

-
- -


              BISE
-

         Un vent folâtre

     galope sur la ville  –

   Dans l’âtre, du feu

                                       © Michèle Rodet





-

Lyon, le 11 novembre 2013


-
CONFIDANSES
 -
   Là, sur la plage
   Elle trace, mine de rien,
   Des lettres d’algues…

La mer essayerait-elle
De trouver un confident ?
     © Michèle Rodet
-
-

Lyon, le 1er novembre 2013

- 
Le symbole : une forme de dynamisme orientée vers l'un

Le mot français "symbole" a été formé à partir du verbe grec sumballô, qui signifie : "jeter ensemble,  mettre ensemble, mettre en commun, d'où : rapprocher, échanger, réunir - rapprocher par la pensée, expliquer - se rencontrer avec, se réunir, avoir une entrevue avec." 
Monnaie de la Grèce antique  : drachme
Dans l'antiquité, le symbole était matérialisé par une poterie, ou une pièce de monnaie, que l'on brisait en deux (ou en plusieurs) morceaux lors d'une première réunion, d'une première entrevue ou d'un engagement et que l'on distribuait à chacun des membres présents en vue d'une autre rencontre. Lors du prochain rassemblement, l'on rapprochait les morceaux pour reformer l'unité de la pièce ou de la poterie. L'on s'assurait ainsi de l'identité des porteurs, de leur nombre, etc.
Pour qui le portait, ce fragment confirmait son appartenance au dit groupe (assemblée, société, fratrie, association commerciale, …), sa singularité au sein de ce groupe, mais aussi l'union initiale et la perspective d'une nouvelle réunion. C'était le signe à la fois d'un lien et d'un engagement. Signes de reconnaissance, les fragments rassemblés de la poterie attestait du lien initial entre chacun. Traces lisibles, ils manifestaient la relation au travail, le lien en attente d'accomplissement, une part de responsabilité.

A cette époque, le symbole n'était pas figé dans une forme, mais désignait déjà une alliance, une unité de vue, un projet commun ou, comme on dit aujourd'hui, de la "re-liance".Le symbole prend à présent des formes en fonction de l'idée, du contrat ou du projet (social, politique, religieux, commercial…) qu'il représente.
Il est devenu plus abstrait, moins personnel, souvent codifié, mais il demeure pour qui lui accorde de l'importance, un objet ou un signe qui indique l'orientation de son désir : une énergie, un dynamisme tourné, non pas vers une jouissance solitaire, mais vers du rassemblement, de l'unité, des retrouvailles, du plaisir issu d'un désir partagé.

Le symbole donne à penser la présence, la signifie et la suspend. Ce n'est ni un objet - qui satisferait ou comblerait un besoin - ni un souvenir : il n'appelle par la remémoration passive d'un événement ou de personnes rencontrées autrefois. C'est un objet "ouvert", un espace de transfert : il oriente vers demain, dégage un champs pour de la créativité, ménage un espace pour que des singularités co-opèrent, se co-ordonnent. Par lui transite une énergie vivante, active dans la mesure où il rend présent le désir initial et l'actualise en permanence (envers et contre tout), y compris dans l'absence (de l'autre ou des autres).

Mais, si le grec a forgé le mot "symbole" pour parler de ce type d'énergie, de cette dynamique de rassemblement, de ce plaisir des retrouvailles, de cet esprit tendu vers l'un, quel mot a-t-il bâti pour désigner son contraire : la dislocation des liens, l'effacement des relations, l'écrasement du temps, la perte de sens ?
                                                                                                       © Michèle Rodet
-
-

Lyon, le 27 septembre 2013

-
-
BERCEUSE
-
                                                  - Voici ma brume ! dit le Couchant.
Fais d’elle des draps frais, m’ami,
ou de moelleuses couvertures.
Récolte aussi de mes couleurs,
Elles te raconteront mon silence.

- Voici mon noir ! dit la Nuit.
Fais avec lui ton lit, m’ami.
Cueille quelques étoiles
pour rêver ton demain,
Puise dans ma lune aussi :
elle y coulera de la rondeur

                                                               - Et maintenant, m’ami,
                                                                love-toi dans mes bras et dors… dors…
                                                                                                        © Michèle Rodet
-
-

Lyon, le 7 septembre 2013

-
Du signe… au symbole
-
Les littéraires ont une façon bien à eux d'entendre et d'employer certains mots. A plus forte raison, les littéraires linguistes. C'est qu'ils sont enracinés non seulement dans un corpus de langues et de textes qui remontent à Homère, mais aussi dans la manière dont fonctionnent langues et langages, et encore dans l'usage que les humains font de la parole. Les littéraires linguistes tiennent ces trois dimensions d'une même main, comme un conducteur de char à trois chevaux le ferait avec les rênes de son attelage : la difficulté réside non pas dans la posture bien qu'elle demande de l'adresse, mais dans le fait de conduire chacun des chevaux dans la même direction !

Michèle Rodet : Tissâge (détail)
Comment donc utilise-t-on des mots comme "signe" et "symbole" dans ce domaine ?
Le signe est l'unité de base d'un langage. Le signe, et non le mot ou la phrase. C'est une unité qui participe de la construction d'un langage dans la mesure où il produit de la "signification", et partant, du ou des sens. Le signe est le matériau qu'emploie un écrivant ou un parlant pour "faire signe" - pour alerter autrui, lui "signaler" qu'il veut lui parler - et pour faire sens.
Pour produire du sens, il faut au moins deux signes. En effet, si je dis : "sud", dans l'absolu, cela à une signification mais pas de sens. Le sens de sud ne vient que si je le place en rapport avec "nord" ou "est", par exemple. Si je suis un navigateur, ma route changera radicalement de sens si je dois aller "sud-nord" ou "sud-est". Et la direction de mon véhicule en sera affectée.

Et bien, il en va de même avec le langage. Le mot "blanc" par exemple, possède en lui-même quelques significations intrinsèques - de couleur ou d'absence de couleur - mais son sens ne provient que du rapport avec un autre signe : si je relie "blanc" à rouge ou rosée, alors je "désigne" le vin dont je parle. Si je le relie à "jaune", "noir" et "rouge", alors je désigne une couleur de peau et j'évoque une manière de penser l'humain. Etc.
Michèle Rodet : Tissâge - 2010 - (1,40 x 0,85)
En donnant du sens, le signe désigne ! Le parlant affecte un mot ou un groupe de mots à la chose - perceptible par nos sens - qu'il met en lumière ou qu'il montre d'une part, et d'autre part à ce qu'il pense ou à comment il pense. C'est une sorte d'interface.
Je peux encore employer le "blanc" pour parler de quelque chose qui n'est ni matériel ni perceptible par les sens, mais qui concerne tout humain. Le blanc symbolisera alors, selon la culture, le mariage, le deuil, la pureté… etc. Le signe gagne ainsi un nouveau pouvoir, celui de symboliser ; c'est-à-dire de manifester - à travers un élément perceptible - des réalités non perceptibles par nos sens, des réalités qui concernent notre intériorité et nos relations avec les autres.
Lorsqu'un signe acquiert la dignité du symbole, il devient pour les uns un code, pour les autres un langage. 
Mais à propos, le mot "symbole", d'où vient-il, que signifie-t-il et à quels sens a-t-il donné lieu ? 
                                                                                            © Michèle Rodet
-
-