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Pressions
Nouvelle
Il parlait du commissariat de la
place B., situé à deux pâtés de maison de l’agence. Jusqu’à hier, on pensait
que ces messages pouvaient être de simples canulars. Mais avec ce quatrième
billet, une série et un mode opératoire se sont clairement dégagés : tous
les mardis à 8h30 depuis quatre semaines un enfant tire la manche du planton
qui garde l’entrée du poste de police et lui remet un billet. D’où
questions : comment interpréter ces messages, qui les expédie et qui
visent-ils ?
Nouvelle
Le plus difficile, dans notre
métier, c’est de gérer le flux des affaires. Pendant des semaines, rien, que
des filatures sans intérêt, sinon celui de faire rentrer de l’argent pour que
la boutique tourne. Pas la moindre montée d’adrénaline ! Et puis soudain,
tout s’accélère : les rendez-vous pleuvent, les demandes se précisent, les
contrats se signent.
Dans notre agence nous sommes
trois : moi, Pat, le secrétaire, qui pour être doté de petites cellules
grises très performantes, n’en est pas moins arrimé au bureau et à ses
ordinateurs. Alors sur le terrain, vous avez déjà fait le décompte, nous ne
pesons pas lourd. Il arrive que dans ces cas-là, Lionel, le patron,
sous-traite, mais y a bien que dans les séries télé que les adjoints
temporaires font du bon boulot. Dans la réalité, ce sont plutôt des has been… Du coup Léo - on a surnommé Lionel : Léo ; c’est
plus rapide à prononcer et à écrire sur les bafouilles qu’on s’échange quand la
course démarre – du coup Léo, Tim et moi doublons nos heures de travail,
triplons notre consommation de café et surtout, établissons des priorités.
Tim est notre gros bras, tout en
muscle et à la pointe de ce qui se fait de mieux question armes. Léo est à la
diplomatie : il connaît la loi et les usages, que c’est un bonheur de
l’écouter parler avec les huiles ! C’est aussi l’as du gotha et de la
coordination.
La priorité des priorités, ça ne
se discute pas, ce sont les affaires que nous refile la police. Car la police
procède comme nous : elle sous-traite les affaires qu’elle pense mineures,
mais sur lesquelles elle veut garder un œil.
Tenez, hier matin, le sergent
Gauthier est venu avec une lettre anonyme. « C’est comme pour les autres
». Il a précisé : « celle-ci a été remise en main propre par un
enfant à l’agent de garde du commissariat de police à 8h30. Ni enveloppe ni
empreintes digitales exploitables… » Moi j’ai noté : « Quatrième
lettre anonyme, reçue le…, etc » et signé le procès verbal - on ne plaisante
pas avec la procédure.
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Parce que contrairement aux
corbeaux classiques, ici, pas de dénonciation, ni de cible identifiée. Juste
des dictons de saison, aimables si on les prend un par un. Mais lorsqu’on les
met bout à bout… Le message qu’on a reçu hier m’a fait froid dans le dos.
En voici la liste par ordre
d’envoi :
Message 1 : « Noël au
balcon, Pâques aux tisons. » Rien à dire.
Message 2 : « Pâques en
mars, cimetière frais. » Celui-là, je ne le connaissais pas, mais comme
Pâques est en avril cette année… Bizarre !
Message 3 : « Quand mars
fait l'avril, l'avril fait le mars. » Là, ça se complique, mais on reste
dans des histoires de saison. Quoique…
Message 4 : « En avril ne te
découvre pas d'un fil. » En lisant ça, j’ai senti un picotement au bas de
ma colonne vertébrale, suivi d’une décharge qui s’est propagée d’une vertèbre à
l’autre jusqu’à mon cervelet… Signe incontestable d’alerte !
Une menace latente couvait, mais
Bon Dieu, contre qui ? Alors j’ai battu le rappel et on a décidé d’une
réunion d’urgence.
Léo possède au plus haut point
l’art de poser les bonnes questions. Il dit que ça lui vient de la Sorbonne.
Moi je croyais qu’on y faisait du droit, de la philo et de l’histoire, mais
apparemment, il doit y avoir d’autres filières. Donc, Léo a jeté son filet et
parmi les hypothèses pêchées, on est tous tombés d’accord sur celle-ci :
le côté « mise en scène » des messages et de leur remise. Lettres et
mots découpés dans des « gratuits », colle et papier sans marque,
remises à dates et heures fixes, etc.
Cela vous avait un petit parfum
littéraire et désuet tout à fait propre à détourner l’attention de
ceci qu’aujourd’hui, une lettre anonyme qui se respecte s’expédie par
Internet. Garantie cent pour cent discret et exempt de risque ! Ces
messages n’étaient donc pas envoyés uniquement pour prévenir, mais pour faire
monter la peur ou entretenir une pression.
C’est alors que j’ai remarqué
qu’il n’y avait aucun destinataire à ces billets. D’habitude, on trouve sur
l’enveloppe : « à l’attention de M. le commissaire X ou de l’agent
Y ». Ici, rien. Seulement un gamin qui tire la manche du planton, glisse
le message dans sa main et détale comme un lapin. Et ledit planton va remettre,
selon la procédure en vigueur, le billet à son supérieur, sans le lire
naturellement. Depuis quatre mardi : toujours le même garde. Jamais le
même gamin.
On s’est tous regardé, avec la
même lueur dans les yeux : « C’est qui le planton ? » a
demandé Léo. Il a pris son téléphone et appelé le commandant du commissariat de
B. Lequel a fait appeler ledit agent pour l’interroger.
Le lendemain, on avait le fin mot
de l’histoire : le malheureux agent avait un rival en amour. Un rival pour
qui tous les coups étaient permis : il l’avait déjà ouvertement menacé de
lui faire la peau s’il ne quittait pas sa blonde avant Pâques. Ces billets étaient
sensés être des piqûres de rappel !
Pourquoi à cette date ?
Qu’est devenu cet homme ? Je n’en sais rien. La police a repris le
dossier et finalisé l’enquête.
Ce dont je suis sûr, par contre,
c’est que malgré la pression, Léo, Tim et moi, on forme un trio du tonnerre,
quelle que soit la saison !
Michèle Rodet
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